Valérian vu par Manu Larcenet
Valérian, le fameux agent spatio-temporel est de retour. Sa partenaire et bien-aimée Laureline a fait en sorte de le retrouver, alors qu'il avait disparu au terme d'une ultime aventure. C'est sur une planète nommée la Terre qu'elle le retrouve, amnésique, alors qu'il a été téléinterné dans le corps d'un terriens médiocre, moustachu et alcoolique. Son dernier adversaire, Jesperiank le Jakolass, a usé d'une technologie connue de lui seul pour parvenir à cette traîtrise. Maintenant que René... enfin, Valérian, a retrouvé sa place dans le vaisseau spatial, il lui faut retrouver le Jakolass pour lui faire avouer le lieu où il a caché cette technologie, afin de renvoyer l'esprit dans le bon corps. Mais la créature est emprisonnée sur une planète prison inaccessible et dont on ne s'échappe pas. Que va pouvoir faire le héros?
Valérian par Manu Larcenet : L'armure du Jakolass
Auteur: Manu Larcenet
Coloriste: Jeff Pourquié
Editeur: Dargaud
D'après l'oeuvre de Christin et Mézière
LE CHOC DE DEUX UNIVERS
Christin et Mézière, les deux créateurs de Valérian, ont donc accepté que d'autres auteurs qu'eux viennent jouer avec leur création, alors même qu'ils ont arrêté la série depuis de longues années. Manu Larcenet, le célèbre auteur du Retour à la terre ou de Blast, avait exprimé par le passé son désir de poser sa marque sur l'œuvre en question. Les deux auteurs ont donc demandé à leur collègue de relever le défi, mais non pour produire une suite directe et parfaitement dans la même veine. Ils lui ont demandé de faire du Larcenet, et du Valérian, vu par lui. Ils lui ont demandé de s'extraire de leur travail à eux, pour produire sa propre vision de l'univers. Pari relevé par Manu Larcenet, avec talent et brio.
L'histoire commence de manière troublante, dépaysante, dans un bar miteux du XXe siècle en France. Francisque, personnage de Larcenet et Lidingre, est au service derrière le comptoir. Deux gros beaufs alcoolisés échangent des brèves de comptoir en enchaînant les verres. Aucun doute, nous sommes dans l'univers de Larcenet. Celui de Valérian ne tardera pas à faire son apparition, provoquant une rencontre irréelle avec le réalisme sale des premières pages. Extra-terrestres, vaisseaux spatiaux, puis Laureline elle-même, pas de doute, nous sommes dans Valérian. Mais la grande force de Larcenet, c'est qu'on reste persuadé, à ce moment là, d'êtres dans la parodie complète. Imaginer Valérian dans le corps d'un petit moustachu bois sans soif et minable, cela frise presque l'outrage à héros. Mais la situation est cocasse, alors on continue la lecture avec plaisir. Les répliques fusent, efficace, décalées, très drôles. Et la situation s'enfonce complètement dans la science-fiction, sans jamais perdre d'humour. Et là, on a envie d'y croire un peu à ce héros. On a envie d'y voir Valérian, alors qu'on ne voyait d'abord que René. L'héroïsme, on s'y laisse gagner peu à peu. Vous verrez ensuite comment on retrouve le vrai Valérian.
Manu Larcenet a complètement digéré l'œuvre de Christin et Mézière, cela se sent. Avec la bénédiction des deux créateurs, il peut donc s'épanouir totalement. Graphiquement, c'est pareil. Ca reste du Larcenet, celui qu'on a connu sur les entremondes avec son frère Patrice. Il n'est pas qu'un dessinateur du quotidien, du réel. Sa planète prison, tout en portant son style si particulier, s'avère vraiment crédible en tant qu'univers de science-fiction. Seul le Jakolass, à mon sens, lorgne encore trop sur l'humour, avec sa tête de crocodile, qui nous ferait penser à Marvin, du Donjon de Sfar et Trondheim. C'est le seul petit reproche à faire sur la vision graphique de ce monde. Un brin plus de réalisme sur le personnage l'aurait sans doute rendu encore plus ridicule vu les situations cocasses dans lequel il est placé. Mais c'est histoire de trouver un détail sur lequel chipoter.
UN PARI FOU, UNE OEUVRE A PART ENTIERE
Deux créateurs ont osé laisser un auteur fou jouer avec leur bébé, et il apparaît qu'ils ont eu bien raison de le faire. Tout en restant une œuvre extrêmement drôle, acide et parodique, Larcenet a su s'approprier la part d'héroïsme suffisante pour que son travail dépasse la seule caricature, et s'intègre parfaitement dans le cadre global. Finalement, c'est une histoire de Valérian, dans laquelle il serait mis en situation de ne pas être le héros de sa propre aventure, où il aurait été mis fondamentalement en difficulté, ce que confirme la conclusion de l'album. En exigeant de l'auteur qu'il reste lui-même, Christin et Mézière se sont assurés que l'opération ne soit pas considérée comme une simple reprise de la série, commerciale et opportuniste (cela se fait beaucoup en ce moment chez les éditeurs, de valoriser de manière différente les grands classiques), mais comme une véritable œuvre à part entière.
Chroniqué par Yaneck
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